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Expositions & Œuvres connexes
Julie Crenn
2014

Tutoyer l’épaisseur des cieux

C’est épaisseur des cieux et la dernière étoile convoitée, C’est au coin de la lune l’oasis de l’infini C’est liberté nourrissant l’homme, c’est la femme aimée C’est pour un peuple qui gémit, l’écartement de la broussaille Pour un qui meurt c’est le silence et la beauté pour un qui vit Et c’est au cœur le nœud d’eau grise qui épie.

Edouard Glissant. « La Relation », Les Indes, 1955.

Les dessins, les peintures et les installations de Marie Lepetit touchent à la représentation du monde vivant : infinie, mystérieuse, riche et complexe. Armée de compas, d’équerres et de règles dotés de dimensions variables, l’artiste trace avec minutie un réseau de points formant des lignes et des cercles entremêlés. Ces multitudes pointillées sont placées dans l’espace d’une feuille ou d’un long rouleau de papier, d’un livre, d’un mur, d’une toile. Les structures constellaires envahissent le support et l’espace. Elles apparaissent et disparaissent par-dessus des fonds blancs, noirs, gris et colorés. Un code couleur se dessine au fil des œuvres, le noir, le blanc, le gris, le jaune, l’orange, le bleu et le rose peuplent les compositions. L’articulation des points, des lignes, des lumières et des couleurs engendre un ensemble de formes portant un imaginaire de type cartographique. L’interprétation est plurielle, les œuvres nous transportent tant vers une lecture de type scientifique que vers une lecture poétique et philosophique. Elles nous conduisent vers différents domaines comme la topographie, l’astronomie, la biologie, la géologie ou encore l’océanographie. La terre, le ciel et la mer sont convoqués au sein de cartes profondes et énigmatiques. Les cartographies instinctives conjuguent les contraires puisque le scientifique tutoie le spirituel. Le concret se frotte à l’abstrait, et inversement.

Marie Lepetit engage un rapport physique, voire performatif, avec ses tracés. Sur les épaisses feuilles de papier, elle active un ensemble de gestes répétés sans relâche : pointer, trouer, tracer, tourner, saupoudrer, frotter. Au mur ou directement au sol, une chorégraphie est improvisée au fil des séries. L’artiste initie un corps-à-corps avec l’œuvre qui se construit par couches successives. Les dessins troués peuvent être recouverts de fusain, servant par la suite de pochoirs pour la réalisation de nouveaux dessins. Elle relève ainsi les empreintes de ses œuvres et développe de nouvelles textures formées de peinture acrylique, de fusain et de pastel. Comme dans la nature, la matérialité de ses œuvres évolue au fil du temps, au fil de gestes répétés inlassablement. Marie Lepetit fouille « l’épaisseur des cieux » dont parle Edouard Glissant dans son poème. Elle couvre et recouvre ses expérimentations pour s’engager vers de nouveaux territoires, de nouvelles gestuelles, de nouvelles sensations plastiques et physiques. Alors, sous ses énigmatiques cartographies, se cachent différents passages, gestes et interventions.

Les dessins de Marie Lepetit entretiennent un rapport étroit avec l’espace d’exposition. L’artiste s’empare des murs et du sol pour disséminer ses compositions rhizomiques. Elle dessine directement au mur ou bien travaille à la surface de longs rouleaux de papier tendus le long du mur et glissant sur le sol. Le dessin apparaît ainsi comme un lien entre deux pôles, céleste et terrestre. Comme un trait d’union entre deux territoires où les cartographies s’hybrident pour traduire un espace entre-deux. Au creux de cette zone indéfinie, nous retrouvons la notion d’infinitude qui traverse la pratique artistique de Marie Lepetit. En ce sens, chacune de ses peintures et chacun de ses dessins porte une charge spirituelle indéniable. Du sol vers le plafond, de la terre vers le ciel, les réseaux de traits et de points s’efforcent de cerner l’indéfinissable.