Marie Lepetit
1 rue de L'Encheval
74019 Paris
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Marie Lepetit cherche, fulmine, parfois oublie, souvent revient. L’avancement de son travail, suivi presque au jour le jour, me laissait avant tout le goût d’une incontestable fidélité. Lignes, angles, points, couleurs, s’entremêlent, se dilatent, disparaissent, et, réintègrent l’espace – champ de bataille qu’un atelier d’artiste. Mais la stagnation, la répétition, l’imitation de soi, rémission à notre incessant changement, ne semblait pas le fruit de tous ses travaux. Si foisonnement, il y avait, il mimait les pas de la danse, développant insensiblement un sens caché, un dévoilement du plus profond du corps. Nous aussi, spectateur, ne soyons pas en reste de ce grand monde de l’art et osons la recherche.
Dès les années quatre-vingt-dix, la ligne dominait le travail de Marie Lepetit, tranchant parmi des espaces plans et lisses, perméables à tout regard. Les couleurs, soit sombres, soit d’un gris trop blanc, interdisaient toute pénétration étrangère, dans un monde d’étoffes tendues à ces cordes raides. Cacher le corps, le dérober, derrière ces immenses pavés dont ne dépassait qu’une face, qu’une arête. Au milieu des années deux-mille, tout est reparti de cette ligne intransigeante. À présent, promise à disparaître, plus aucun solide ne venait conforter sa présence. Elle naissait éclatée, éparse, d’une équerre dont ne demeurait plus que le point névralgique autour duquel elle avait tourné. Là, une multitude de points, blancs puis colorés, venaient, plus qu’ailleurs prendre demeure. Le croisement de chaque trait invitait à la présence d’un point. La tonalité du jeu et de l’ouverture se dévoilait déjà. Timide, la ligne n’osait se révéler. Parfois même, elle disparaissait tout à fait sous l’entaille de la gomme. A l’infime tâche de couleur d’assurer seule la présence de l’œuvre. Il a donc fallu jouer avec cette tâche, parfois mêler un peu de noir autour du dépôt lacté, dès lors devenu bijou opale. Ajouter des œillets, puis les retirer. Préférer le combat : du bleu azur ici, du noir pour cette autre circonférence. Malgré la danse naissante, le fond de la toile continuait à se présenter en espace statique. Murale ou pas, l’œuvre demeurait cloitrée au devant d’une immense porte froide et close. Les traits, les tâches, se détachaient et seuls devaient attirer l’attention –eux-mêmes perdus dans la présence inextricable, de ce fond. Et, l’étranger, ne pouvant s’avouer regarder ce fond comme la fin d’un chemin, détachait la danse de ces points pour y immerger ces poncifs ayant le charme de combler nos vies. Constellations, étoiles, disait-il.
Fiat lux. La lumière pénétra l’image vers 2010. Lumière en tant qu’ouverture, transcendance, non simple éclat de couleur. Pour preuve, elle apparut dans les poussières du fusain. Inégales, le fond se développait enfin en surface mouvante. La rosace n’avait plus rien à interdire, à protéger. La déstructuration s’amorça. La technique du fusain, plus aisée sur petit format et papier à gros grains, introduit Marie Lepetit à l’état présent de son travail, par la petite porte du dessin. Coexistait, ou plutôt survivait, à côté de ces petites surfaces volages – mais libres – les toiles au fond rigide. Deux vitesses, rejouant sous la forme Kunst, la fable du lièvre et de la tortue. Mille essais, une trouvaille ; mais que vaut-elle ? Les presses de gravures permirent de tenter et retenter la couleur, l’ouverture du fond. Culminant au centre URDLA, à Villeurbanne, où aidée de techniciens, Marie Lepetit revint avec des gravures réalisées sur cuivre, bois et lino. Le fond n’avait plus la possibilité d’exister, d’exercer la moindre fermeture. Il n’était plus consciencieusement peint, mais permettait seulement à l’encre glissée là de réaliser l’apparition de l’image. L’œuvre devenait une, permettant de dévoiler un au-delà. L’œil peut à présent errer, le corps, confiant, se laisser immerger dans la vie organique de l’œuvre. Mais cette lucarne sur la lumière authentique, la présence de la transcendance, dut porter ses efforts à se réaliser hors du petit format du dessin. Tout y passa : vitres brisées, miroirs éclatés, morceaux de tôle, planches de bois. De lourdes feuilles assemblées par dizaine, d’un mètre sur deux, se voyaient rituellement percées d’une petite vrille. La toile apparut, parfois, nue. Dévoilement, mouvement, porosité. La vie se développe. L’atelier autrefois immaculé-hôpital, connaît à présent la poussière du fusain, les multiples supports en attente. Marie Lepetit tisse un lien organique entre ces nouvelles œuvres. Ces deux derniers mois, au fond de l’atelier, un étendard de papier, de deux mètres sur sept, trônait, le trait était devenu fond, le point aussi.
I’d rather learn from one bird how to sing than teach ten thousand stars how not to dance